Tu pensais que cette newsletter était morte ? Que j’avais disparu de la circulation ? Que j’avais renié tous mes combats ?
Et bien non !
I’m back ! 🦹🏼♀️
Je te préviens tout de suite, aujourd’hui on est hors sujet ! Si tu veux parler agriculture, alimentation ou écologie : rdv à la prochaine newsletrer 💌.
J’ai mis mon ordi dans un placard quelques semaines. Je suis partie depuis mi-janvier pour un nouveau travail en freelance : j’étais groom pour une cavalière qui partait un mois en Espagne faire du concours avec ses chevaux. (définition) En tant que groom, on fait tous les soins aux chevaux et on les prépare (techniquement quand le cavalier arrive, il n’a plus qu’à monter dessus). On les soigne vraiment comme des athlètes au haut niveau. C’est aussi un rôle et un métier très important pour les cavaliers qui montent beaucoup de chevaux et font confiance en donnant la responsabilité des soins nécessaires et de la santé du cheval à une autre personne.
Sur le papier, c’est top parce que j’ai grandi avec des chevaux, j’adore ça : j’aime l’élevage et j’aime le sport. Pourtant, j’ai toujours refusé d’en faire mon métier même si tout m’y prédestine et j’ai eu plusieurs expériences pros dans ce milieu. J’ai toujours refusé parce que je trouve ce milieu malhonnête et misogyne, je ne m’y sens pas du tout à ma place.
Et là, sur un coup de tête, un besoin de renflouer les caisses, je suis tombée sur cette offre et j’y suis allée. J’ai découvert (ou re-découvert) un monde, une autre réalité.
Si aujourd’hui, je ne te parle pas des enjeux écologiques, c’est parce que j’ai voulu te faire un retour sur une façon de travailler qui m’a complètement déconcertée. Pas de panique, cet évènement est un non-sens écologique, donc j’y reviendrai dans la prochaine newsletter 😉 .
Avant de commencer, petit disclaimer :
Je me suis toujours beaucoup remise en question sur mon management, j’ai fait beaucoup d’erreurs et j’en ferai toujours. Nous sommes des humains qui gérons des humains, il y a pleins d’erreur que l’on apprend en faisant.
Je fais une généralité, mais qui est celle à laquelle j’étais confrontée pendant un mois.
Je suis hyper admirative de l’implication des autres grooms que j’ai croisés !
Je suis dans ce milieu depuis des années et j’ai rencontré pleins de belles personnes. Il y a des gens qui sont vraiment impliqués. Des femmes et des hommes de chevaux, proche de la nature et de l’animal.
Ma vie à Downtown Abbey.
Actuellement, je suis en train de regarder Downtown Abbey (pas de spoiler, je n’ai pas fini la série 😇). Je trouve cette série passionnante comme critique sociale. Si, sur le papier, la série est d’époque, c’est toute de même une critique d’un modèle capitaliste, de la division du travail et de la scission des classes sociales.
Dans cette série, une classe sociale détient le capital et via ce capital peut offrir du travail aux autres classes sociales. (c’est assez grossier comme description, mais on y est). Dans la série, on voit à quel point la famille Crawley (détenteur du capital) sont bienveillants envers le village et leur personnel, mais on sent qu’ils ont comme devoir de leur donner du travail. Et indirectement, leur personnel doit leur en être reconnaissant. À plusieurs reprises, le personnel évoque la pression sociale (et familiale) qu’ils ont « d’être chanceux de travailler dans ce domaine ». Une série passionnante quand on la lit entre les lignes.
Bref… cette newsletter n’est pas une critique cinématographie…
Donc voilà, la cavalière pour laquelle je travaillais, est jeune (25 ans) et n’a pas eu d’expérience professionnelle autre que travailler dans l’entreprise familiale, un peu. Elle n’a jamais été managée et depuis qu’elle a 17 ans, elle a une personne qui s’occupe de ses chevaux (environ 4 chevaux). Elle n’a donc pas à charge de s’occuper du bien-être et des soins de ses animaux.
Globalement, une partie des cavaliers présents à ce concours, n’ont pas besoin de gagner de l’argent et n’ont jamais travaillé. En revanche, ils ont besoin de gens autour d’eux pour faire le travail.
Sur mes premiers jours, j’ai trouvé que c’était une façon intéressante de voir l'économie et que c’était bien d’avoir des personnes pour créer de l’emploi même si, elles, ne travaillent pas. Il y a vraiment pleins de manière d’aborder cette réalité.
Dans la réalité dans laquelle j’ai été confrontée (celle que j’ai vécue, celle que d’autres grooms m’ont racontée), cela crée quelques situations ubuesques. Simplement parce que ces personnes n’ont pas travaillé et n’ont jamais été à notre place.Je vais d’ailleurs en citer quelques unes, ce n’est pas toujours moi qui les ai vécues. Je ne vais pas toutes les citer, car ce serait un roman, et surtout ce n’est pas mon exercice d’écriture préféré, alors personne ne les lirait 😂
Journée classique :
Groom démarre à 7 h : faire les boxes, les soins des chevaux et préparer les chevaux.
Cavalier arrive à 9 h : le cheval est prêt à être monté (il attend avec sa selle et son filet dans le box).
Toute la journée le groom enchaine pour seller et desseller les chevaux du cavalier.
Cavalier arrête vers 11 h 30 pour aller manger et revient vers 14 h. Pendant ce temps-là, le groom rattrape son retard.
Même chose l’après-midi.
Le cavalier fini vers 17 h.
Groom : ressort les chevaux, fait les soins, nettoie le matériel et fini vers 19h (sans pause….)
(si tu as déjà regardé Downtown Abbey, je me suis toujours demandé comment faisaient les servants pour avoir une vie en dehors de leur travail)
Spoiler alerte : le groom est un robot : il ne dort pas, ne bois pas, ne mange pas et n’a pas de vie sociale.
Situation 1 :
A 13 h, le cavalier descend du cheval, le donne à son groom “tu peux le ramener, faire les soins, et préparer le suivant, moi il faut que je mange, je vais aller au resto. (silence) tu veux peut-être un sandwich ?”
Retour à 15 h “Désolé, il n’y avait pas de sandwich.”
Situation 2 :
La groom partage un logement de 20 m2 avec son cavalier (son patron) qui fait la fête tous les soirs et se balade en caleçon dans ce mini appartement. Pendant un mois, la groom n’a pas réellement de cuisine, salle de bain et vit dans l’espace qu’est son lit sur une hauteur de 90 cm.
Situation 3 :
Cavalier « je ne comprends pas, les gens viennent de faire le Grand Prix et ils repartent aussi tôt faire 8 h de route, ce n'est pas cool pour les chevaux qui viennent de sauter 1,50 m »
Groom « et pour les grooms qui bossent depuis 3 semaines non-stop, sont debout depuis 7 h du mat’ et ont eu une journée bien chargée pour tout ranger, ce n'est pas évident d’enchainer sur 8 h de route »
Cavalier : « ah non, ça on s’en fout, c’est pour les chevaux ».
Situation 4 :
Le cavalier à 6h du matin « tu peux m’apporter des affaires à mon appartement».
Alors vient ce moment où tout le monde te dit : « mais pourquoi tu es restée ? Je n’aurais jamais pu ». (qui es-tu pour me juger ?).
Il y a plusieurs raisons.
Les excuses que je me donne :
Ma conscience pro : je ne voulais pas lâcher une mission en cours de route, d’autant plus que c’était la première et un mois, ça va, ce n'est pas si long !
Mon esprit d’équipe, je travaillais avec un autre groom et il m’était impensable de la laisser seule.
le besoin de travailler, de refaire des choses.
L’expérience sociale.
La réalité :
Il y a une relation de dominant / dominé qui se crée. Et aussi rebelle que l’on se croit, indépendant.e et fort.e il y a une certaine soumission « j’accepte, car j’aimerais que cette personne me paie à la fin du mois ». Ce n’est absolument pas péjoratif, c’est simplement le fonctionnement humain.
Je me suis demandé pendant tout ce mois, pourquoi, les autres grooms qui étaient dans des situations bien pires que moi restait alors que c’est un métier en tension.
L’aspect hiérarchique et la domination jouent un rôle important. (il ne faut pas prendre le mot domination avec autant d’importance qu’il en a, c’est plus une notion de hiérarchie).
Pourquoi je ne disais rien ? Parce que je n’avais pas envie de faire de vagues, et que je savais pertinemment que cela n’allait pas avoir d’impact. Pourtant, la seule fois où je l’ai fait, cela a été très bénéfique. Je comprends maintenant pourquoi, dans certaines situations de violence, les gens ne prennent pas la parole pour dénoncer des actes ou des injustices, c’est aussi cette situation de domination, ne pas faire de vagues et préserver sa crédibilité.
Ok, à quoi m’a servi cette expérience ?
Cette expérience m’a permis de me poser pleins de questions, tout d’abord sur la valeur du travail.
En dehors de la notion monétaire. Pourquoi reste-t-on accroché à un job ? Finalement qu’est-ce qui est le plus important.
Je parlais avec une groom, qui se faisait insulter parce qu’elles allaient aux toilettes (oui). Pourquoi elle reste ? Parce qu’elle s’occupe tous les jours des chevaux et elle a tissé des liens avec eux (🐴🫶)
Pour ma part, le travail est quelque chose de bien plus important qu’un gagne pain. C’est une façon de me challenger, de repousser mes limites, d’avoir de l’impact et d’avoir de la reconnaissance. C’est là, que se pose la question de « qu’est-ce que la « valeur travail » ? » et la place qu’elle prend dans un métier passion. Lorsque que l’on travaille avec des animaux, on crée une dépendance affective à l’animal et on est capable de donner beaucoup plus non pas pour le cavalier (ou le chef d’entreprise) ou la vision de l’entreprise, mais juste pour l’animal, pour ce qu’il nous donne et les soins qu’on lui apporte.
Dans ce cas précis des chevaux, on a la personne qui a la capacité (sportive ou financière) d’avoir des chevaux et qui donne la possibilité à une autre personne qui ne l’a pas de travailler avec ces animaux. C’est aussi une forme de domination.
En dehors de ça, dans ce milieu, il a des gens qui ont beaucoup travaillé pour y arriver. Et il y a la valeur de l’effort, « j’ai souffert pour en arriver là, tu dois souffrir de la même façon ». C’est un peu la deuxième facette qui est plus agricole ou paysanne de ce milieu-là et que l’on peut retrouver dans pleins d’entreprises « j’étais le souffre-douleur en première année et maintenant, je fais souffrir les autres parce que c’est comme ça que l’on apprend la vie ». Alors oui, la vie n’est pas un long fleuve tranquille, mais doit-on pour autant faire endurer aux autres ce dont on a nous-même souffert ?
Sans vouloir dire que tout peut s’acquérir sans douleur et sans effort (j’en ai d’ailleurs fait l’expérience ces derniers mois). Je pense que l’on peut enseigner des choses dans le respect de ses collaborateurs et d’autrui en général.
Enfin, il y a aussi la notion de gratitude. En réalité, la personne pour qui je travaillais m’a régulièrement dit « merci » et tout était demandé avec gentillesse et bienveillance. Néanmoins, je n’ai jamais ressenti de gratitude. Je n’ai à aucun moment eu une reconnaissance sincère et pu voir qu’elle me respectait en tant que personne ou pour mon travail.
Et là, je pourrais très bien enclencher un nouveau sujet sur la gratitude, mais je pense que j’en ai assez dit pour aujourd’hui… 😂
Entre nous, j’ai mis du temps à rédiger cette newsletter. Je pense qu’elle mérite d’être nourri par d’autres expériences et des échanges sur les différentes notions que j’ai abordées. Je suis un peu en dehors de mon champ de prise de parole, mais… un petit écart de temps en temps ne fait de mal à personne 🙃. Peut-être avec beaucoup de naïveté, j’ai découvert une nouvelle facette de notre société !
Surtout pas de panique, j’étais bien, j’étais en Espagne, au soleil, entre 15° et 20° et comme le dit si bien Aznavour : « La misère est moins pénible au soleil ».
Si tu es arrivé.e jusque là, bravo et merci 👏 Je le reconnais, c’était long et fastidieux 😂
Voilà, c’est tout pour l’histoire de ma vie, enfin d’une bride de ma vie ! A très vite, pour de nouvelles aventures 😏
Axelle
L'établissement d'une relation dominant/dominé est courante (mais pas systématique) chez les animaux. Est-elle pour autant normale (ou souhaitable) chez l'humain ?
Ne pourrait-on pas aspirer à une organisation de société plus juste ?
Du coup, qu'était-ce donc que "cette seule fois où tu n'as pas rien dit" ..?